ACADÉMIE BEETHOVEN 250
L’intégrale des Symphonies de Beethoven
Le projet européen « Beethoven Académie 250 ».
Pour célébrer la naissance d’un des plus extraordinaires génies de la culture musicale européenne, nous avons le projet de réaliser, un travail de recherche et d’interprétation sur l’intégrale des 9 symphonies reparti en 4 grandes « académies » ;
En 2019
Printemps 1e Académie ; symphonies 1, 2 et 4
Automne 2e Académie ; symphonies 3 et 5
En 2020
Printemps 3e Académie ; symphonies 6 et 7
Automne 4e Académie ; Symphonies 8 et 9
Ce travail sera du à terme par un important équipe, dirigé par moi-même, et constitué par les meilleurs professionnels actuels spécialisés dans les instruments de l’époque et le répertoire ; le konzertmeister Jakob Lehman, et l’assistance de notre concertino Manfredo Kraemer, ensemble avec le noyaux central des musiciens professionnels de Le Concert des Nations, (qui célèbreront en 2019 les 30 années d’existence !), enrichi par l’incorporation des meilleurs jeunes musiciens professionnels actuels, qui seront sélectionnés à l’Automne 2018 (pour les Académies de 2019) et aux Printemps 2019 (pour les Académies 2020). Sur un total de 55 participants, nous aurons entre un 60% et un 75% des professionnels du Concert des Nations et entre un 25% et un 30% de jeunes professionnels. L’annonce de ce concours pour les différentes Académies se fera avant l’été 2018.
Chaque Académie se réalisera en deux étapes de six jours ;
la première avec des Master Class et des répétitions préparatoires et
la seconde un mois ou 3 semaines après, avec le travail de répétitions finales. Tout le travail des académies et Master Class sera enregistré (Audio et Video) pour des ultérieures diffusions pédagogiques. Chacune des Académies seront suivies des concerts dans les salles et institutions qui collaboreront ou seront partenaires du projet, pour l’instant : La Saline Royale d’Arc et Senans (Lieu de résidence de l’orchestre Le Concert des Nations), la Philharmonie de Paris, et L’Auditori de Barcelone, la Fundació Centre Internacional de Música Antiga (de Barcelone), La Diputació de Barcelone, la Mairie de Barcelone, la Mairie de Sant Cugat del Vallés. Actuellement nous sommes en pourparlers avec d’autres institutions européennes en Allemagne, Autriche, Portugal, Italie, Pologne et Hongrie.
La diffusion des concerts se fera non seulement dans les importantes salles mentionnées et pour leur public habituel, mais nous voulons présenter ces concerts dans des banlieues, villes, théâtres ou espaces publiques, dans lesquels cette musique n’arrive jamais.
Stratégie et priorités du Projet ;
- Récupération du Patrimoine musical européen à travers la recherche et l’interprétation renouvelé, faite sur les instruments originaux de l’Orchestre du XIXe. siècle.
- Transmission d’une culture musicale, intangible mais essentielle, aux nouvelles générations, grâce à plus de 50 années d’expérience, de recherche et de réflexion musicale.
- Circulation transnationale de chef-d’œuvre musicaux.
- Mobilité transnationale des musiciens professionnels et des jeunes professionnels.
- Développement des nouveaux publics (plus jeunes), dans les salles importantes.
- Développement aussi d’autres publics, dans des nouveaux lieux marginés ou peu utilisées.
- La valeur ajoutée européenne est mise en avant par la grande diversité nationale des musiciens qui font partie de l’orchestre Le Concert de Nations (français, espagnols, italiens, allemands, belges, portugais, autrichiens, hollandais, argentins, etc.) et la diffusion au monde d’un patrimoine musical essentiellement européen comme c’est le cas pour les Symphonies de Beethoven.
- Toute l’action pédagogique et de création musicale sera diffusée en Ligne et enregistrée et publié en CD et DVD afin d’obtenir une diffusion maximale.
- Réalisation des interprétations des 9 Symphonies de Beethoven à partir des informations sur le tempo, l’articulation, la dynamique et la maitrise des instruments d’époque qui permettront la découverte d’un Beethoven vraiment « révolutionnaire ».
Jordi Savall
Directeur artistique
L’esprit et les sens
« Die Musik ist die Vermittlung des geistigen Lebens zum Sinnlichen. »[1]
La composition de l’orchestre au temps de Beethoven.
Historiquement, le son de l’orchestre est le premier élément qui doit être pris en compte dans le difficile travail d’approche de l’univers musical beethovénien. L’importance et la composition des orchestres de l’époque de la composition de ses Symphonies, sont variables en ce sens qu’il n’existe, à Vienne, aucun orchestre officiellement établi avant 1840. En 1808, l’orchestre du Théâtre de Vienne était constitué de 12 violons, 4 altos, 3 violoncelles, 3 contrebasses, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes et timbales – au total, 35 musiciens. Dans les premières interprétations de l’Héroïque, on compte 30 (1804, Vienne, Palais du Prince Lobkowitz) à 56 musiciens (1808, Festsaal, Université de Vienne). Une chose est sûre : la sonorité et l’équilibre de l’orchestre étaient bien différents de ceux des orchestres actuels.
En somme, on peut dire que les possibilités techniques et le timbre des instruments résultaient grosso modo d’une lente mais constante évolution de l’orchestre, qui avait débuté avec les formations baroques pour aboutir, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, à une forme définitivement adoptée comme classique (l’effectif de l’orchestre du Théâtre de Vienne en 1808, par exemple).
Connaissant ses idées de perfection et son souci du progrès, on peut avancer que Beethoven, sous certains aspects, poursuivait un idéal qui dépassait les possibilités de son temps. Les instruments qu’il a connus et utilisés sont pourtant bien ceux de son époque et c’est cette limitation qui met en valeur tout son génie et son pouvoir créatif. Son effectif n’est guère différent de celui dont disposaient Haydn ou Mozart, mais sa fantaisie et sa volonté l’ont amené à expérimenter toutes les combinaisons possibles de couleurs et de timbres, et à en explorer toutes les limites.
La « révolution » de la Symphonie Héroïque.
Si pour Beethoven « la musique est le médiateur entre la vie de l’esprit et celle des sens », la « Sinfonia Eroica, composta per festeggiare il sovvenire di un grand’Uomo » (Symphonie Héroïque, composée pour célébrer le souvenir d’un grand homme), représente beaucoup plus qu’un hommage personnalisé : c’est surtout l’explosion d’un drame intérieur et la sublimation d’idéaux mythologiques et révolutionnaires (Prométhée et Bonaparte). Sa structure grandiose, son style dramatique et puissant ainsi que son développement prodigieux et innovateur la rendent doublement révolutionnaire.
Pris dans le sens de « bouleversement des usages et des mentalités », « révolutionnaire » est un mot-clé qui rappelle à la fois le contexte historique de cette Symphonie Héroïque et les questions actuelles qu’elle soulève. Que reste-t-il en effet du caractère révolutionnaire de cette musique si souvent transformée ou déformée, pour des raisons esthétiques ou commerciales, en un produit impersonnel à l’écoute banalisée ? La musique de Beethoven – comme toute musique géniale – est transcendante ; son message est éternel mais non point intemporel puisqu’il porte, dans sa propre gestation, la marque implicite de son temps : le style. Et dans la cristallisation de toute interprétation significative, esprit et style sont indissociables de la connaissance instrumentale, formelle et historique.
Que représentent alors – outre l’augmentation considérable du nombre de musiciens – la modernisation des instruments réalisés dans la deuxième moitié du XIXe siècle et l’utilisation généralisée, à notre époque, de cordes métalliques ou artificielles (par opposition aux cordes en boyau) ?
Il est évident que ceci a conditionné un changement radical dans la conception de la technique, du son, de la justesse, des timbres, de l’équilibre, de la dynamique, de l’articulation, etc., et a confirmé par-dessus tout une évolution selon laquelle ces mêmes améliorations instrumentales peuvent interférer dans le libre développement de l’esprit de la musique. C’est en ce sens qu’il peut être révolutionnaire aujourd’hui de défendre l’idée d’orchestres différents pour Lully et pour Rameau, de même que pour Bach et pour Haydn ou encore pour Beethoven et pour Mahler, etc. Sans vouloir discuter ni mettre en doute l’importance et la légitimité de n’importe quelle interprétation sur instruments modernes, refuser ces différences et maintenir un type unique de formation orchestrale représenterait un grave appauvrissement.
Retour aux sources historiques de l’époque de sa création.
Notre projet d’interprétation des symphonies de Beethoven, tente donc de se situer dans le contexte historique de sa création, sans renoncer pour autant aux différents concepts subjectifs propres aux idées de Beethoven et de son temps : nous pensons que le fait de tenir compte des éléments objectifs, constitués par les incidences naturelles des instruments d’époque et de leur technique sur le processus d’interprétation, peut révolutionner notre perception d’un univers sonore et esthétique incommensurable.
Parmi les éléments objectifs, l’utilisation d’un groupe d’instruments à cordes en boyau (entre 10, 8, 6, 5, 3 pour les symphonies 1, 2 et 4, et 12, 10, 8, 6, 4 pour les symphonies 3, 5, 6 et 7, et 14, 12, 10, 8 et 5 pour les symphonies 8 et 9) obéissant à la technique et à l’articulation des archets de l’époque (antérieurs à Tourte) permet une grande flexibilité et des contrastes accusés, qui sont nécessaires à la richesse des nuances notées sur les partitions de Beethoven. Le son de la corde est plus chaud et résonnant dans les registres moyens et graves, plus perçant et agressif dans les aigus. Grâce à la sensibilité propre de la corde en boyau, les différentes formes de vibrato sont utilisées non comme support continu mais comme éléments ponctuels de l’appui expressif.
L’individualisation du timbre, si importante chez Beethoven, est parfaitement contrastée entre les cordes et les différents instruments à vent : les bois (flûtes, hautbois, clarinettes et bassons, encore construits en bois et disposant d’une ou deux clés supplémentaires), les cuivres (cors et trompettes naturelles sans pistons) et les timbales aux membranes en peau et baguettes en bois dur. En général, les timbres et les couleurs instrumentales des vents – sauf ceux de la flûte traversière – sont plus crus, plus directs et plus brillants, ce qui explique qu’ils ne sont jamais sacrifiés au profit d’un son compact, puissant, riche ou doux. La correspondance de l’articulation et de la puissance sonore entre les cordes (32/40) et les différents instruments à vent (13/20) favorise un équilibre naturel et une meilleure définition du contrepoint et des dynamiques.
De même, l’accord non tempéré permet de mieux comprendre le sens des modulations – si importantes pour une musique éminemment tonale –, du fait du durcissement des accords dans les tonalités lointaines (tension) et de leur stabilité dans les tonalités fondamentales (relâchement).
La question essentielle du Tempo.
Élément à la fois subjectif et objectif, le tempo a toujours été pour Beethoven une question fondamentale dans l’interprétation. Dans sa biographie, Schindler nous indique que « lorsqu’on présentait en public l’une de ses œuvres, sa première question était toujours : comment étaient les tempi ? » Ceci explique son grand enthousiasme pour le métronome (inventé par Mälzel peu après 1800) et ses précisions ajoutées, dans plusieurs de ses œuvres, aux habituelles indications de tempo – Allegro con brio, Allegro vivace, Allegro molto, etc.–, suivis des valeurs métronomiques correspondantes. En 1817, le Allgemeine Musikalische Zeitung de Leipzig publie « Les tempi des mouvements de toutes les symphonies de Monsieur L. van Beethoven » : il apparaît que, même si certaines de ces valeurs ont été discutées, les mouvements indiqués dans la Symphonie Héroïque – quoique assez rapides – sont dans leur majorité possibles, à condition d’être interprétés avec la flexibilité commandée par le discours musical lui-même et par les conditions acoustiques.
Cette flexibilité sans laquelle ne peut exister la moindre expression est celle dont nous parle Beethoven (en 1817 également) quand il écrit dans l’autographe du Lied Nord oder Süd : « 100, selon Mälzel. Mais ceci ne peut s’appliquer qu’aux premières mesures car le sentiment a sa propre mesure qu’il n’est pas possible d’exprimer totalement à ce degré (100).
Finalement, dans le cas de l’enregistrement que nous avons fait de la Symphonie Héroïque, les tempi correspondent – à l’exception du Poco Andante du Finale, où nous avons opté pour des valeurs légèrement plus lentes (84-88 au lieu de 108) – aux valeurs que propose Beethoven avec la marge raisonnable de flexibilité musicale :
VALEUR INDIQUÉE INTERPRÉTATION
- Allegro con brio h. = 60 58/60/63
- Marcia funebre – Adagio assai e = 80 72/76/80
III. Scherzo – Allegro vivace h. = 116 116/120
- Finale – Allegro molto h. = 76 69/72/76
Poco andante e = 108 84/88
Presto q = 116 116
Le rétablissement des nuances originelles et la dimension spirituelle de l’interprétation.
Dans le domaine pleinement subjectif de l’interprétation et spécialement dans sa vision analytique, la manière d’aborder – à partir de la perception des relations formelles et tonales inhérentes à la musique – les différentes solutions liées à la pensée de l’articulation et du phrasé, à la conception de la réalisation des nuances, des indications dynamiques et agogiques, nous apparaît fondamentale. Sans oublier qu’une partie importante de la tension dramatique correspond aux difficultés exigées par une technique qui va souvent au-delà des possibilités en usage à l’époque.
Nous arrivons à la dimension spirituelle de l’interprétation, qui suscite la problématique la plus transcendante et difficile à définir : comment recréer et approfondir les intentions expressives du compositeur et communiquer aux auditeurs l’esprit de l’œuvre sans déformer ou trahir les éléments objectifs qui la définissent comme telle ?
Nous savons tous que Beethoven fut un improvisateur génial. En même temps, l’intensité extraordinaire de ses travaux d’esquisses nous montre les efforts grandioses et obsessionnels qu’il fit afin de rendre chacune de ses compositions aussi excellentes que possible. C’est probablement là que réside la grande difficulté de sa musique, dans ce fragile équilibre entre la force incontrôlable d’un Prométhée qui lutte instinctivement pour porter aux humains le feu divin et la conscience de ce que, pour cela, il doit payer le prix d’être enchaîné à construire les formes d’un art qui ne seront libératrices que lorsqu’elles deviendront “le plus beau lien des peuples plus éloignés”.[2]
JORDI SAVALL
Bellaterra, 4 janvier 2018
[1] Beethoven, cité par Bettina Brentano, “Lettre à Goethe”, 28 mai 1810.
[2] Beethoven, “Lettre 1080 à l’Académie Royale de Musique de Stockholm”, 1er mars 1823, Vienne (écrite en français).